Évacuer un blessé loin de tout

Un article de blog par Joël Schuermans

Des Rangers brancardent un blessé

En milieu naturel ou sauvage, ou dans toute autre situation où l’on est loin de toute modernité, déplacer un blessé afin de l’évacuer à la suite d’une urgence causée par une blessure ou une maladie, sera une gageure. Et ce, que l’on soit équipé ou non d’un matériel manufacturé dédié. Avant de se lancer, autant se poser les bonnes questions donc.

Heli Versus Hiking Versus Hôtel

Prenons le cas d’une fracture du tibia, une entorse à la cheville ou encore une luxation de la hanche, ces traumatismes entraîneront une impotence fonctionnelle totale ou partielle des jambes du blessé dont découlera une perte de la mobilité. Va alors immanquablement se poser la question du transport assisté afin d’évacuer celui-ci vers des soins adaptés. Dans cette situation, la première vraie bonne considération est la suivante : faut-il déplacer le blessé ? Si la réponse est oui, vient alors la seconde considération : faut-il vraiment déplacer le blessé ?

Cette plaisanterie a pour but de surligner l’importance de se poser 2 fois la question. Car, et c’est ce que l’on enseigne dans toute formation de premiers soins de base, en règle générale, on ne déplace le blessé que s’il le faut.

> En contexte urbain, on ne le déplacera d’ailleurs uniquement s’il y a un risque de suraccident effectif (incendie, menace d’effondrement…).

> En milieu sauvage, les paramètres sont multiples et s’entremêlent, compliquant ainsi la prise de décision finale : déplacer ou pas le blessé.

En cas de blessé(s)/malade(s) à évacuer vers des soins avancés depuis une zone isolée en pleine nature, 3 cas de figure sont possibles, nous les nommerons HELI (les soins viennent à nous au moyen d’un hélicoptère), HÔTEL (on s’installe et on attend une équipe de sauveteurs qui nous rejoint par voie terrestre dans un délai +/- long) ou HIKE (le blessé se rend aux soins en marchant et/ou sur une civière). Si dans les 2 premiers cas on ne doit probablement pas porter le blessé, dans le dernier par contre, il le faudra très probablement.

« La première vraie bonne considération est la suivante : faut-il vraiment déplacer le blessé ? »

Le dilemme

Transporter des blessés, même avec un brancard dédié haut de gamme, est fatigant, chronophage et énergivore, voire même dangereux sur certains terrains. Des sauveteurs fatigués sont susceptibles de se blesser à leur tour, de subir un coup de chaleur ou de souffrir d’hypothermie ou d’une hypoglycémie due à l’effort accru.

Est-ce que ça vaut le risque ? Toute la question est là et bien sûr il n’y a pas de réponse type.

Est-ce que la situation fournit des ressources humaines suffisantes pour l’évacuation envisagée ? De l’équipement adéquat ? Faut-il envisager la construction d’un brancard de fortune ? Ou plutôt envisager des premiers soins prolongés en attendant les secours professionnels ? Ont-ils été prévenus ou misons-nous sur le fait d’être repérés lors de recherches aériennes ou terrestres ? Quel est leur délai d’intervention versus l’état du blessé ? Quels sont nos moyens de subsistance et pour quelle durée ? Les conditions météorologiques se dégradent-elles ? Sont-elles extrêmes ?…

Que d’éléments à considérer… et il faudra évaluer et décider au cas par cas.

En milieu naturel, le déplacement d’une victime exigera un effort prolongé et coordonné de nombreuses personnes, même sur une très courte distance et ce point est, en général, très largement sous-estimé par les personnes sans expérience de brancardage. Brancarder, c’est dur, très dur. Ça use physiquement et moralement et ce processus est amplifié en cas de conditions environnementales hostiles ou terrain difficile ou une entente altérée dans le groupe (si groupe il y a ! Car seul avec le blessé, l’approche est encore toute autre !).

De plus, il est impossible même avec une civière manufacturée, de déplacer une victime sans causer de mouvement et le mouvement cause de la douleur et/ou des dommages supplémentaires.

Jusqu’où allez-vous, de façon réaliste, déplacer votre victime ?

Il peut être justifié, voire même indiqué, de déplacer la victime pour quitter un endroit instable ou exposé ou l’amener à une courte distance dans un endroit mieux abrité, protégé ou plus stable ou un endroit qui soit plus propice à la gestion d’un groupe ou de plusieurs blessés ou des ressources logistiques.

Mais, et ce peu importe la distance à parcourir, le plus grand soin devra être apporté à cette tâche dans le cas d’une blessure potentielle à la colonne vertébrale ou au bassin. Dans ces cas, les mouvements du corps devraient être limités autant que possible. Plus facile à écrire ou à lire qu’à faire.

Tout déplacement de la victime nécessitera une approche contrôlée et réfléchie et coûtera donc un investissement en temps et énergie afin de préparer les équipements de portage et de déplacement, ainsi que l’équipe. 

 

 

« En milieu naturel, transporter des blessés, même avec un brancard dédié, est fatigant, chronophage et énergivore. »

Une évacuation terrestre peut vite s’avérer délicate et laborieuse. L’hélicoptère est efficace, mais capricieux et parfois très onéreux.

Évacuer un blessé à 2 personnes seulement ne sera possible que moyennant des efforts importants et sur de petites distances.

Si on ne veut/peut ou doit pas déplacer le blessé

Si après considération des différents facteurs, il est décrété de ne pas déplacer le blessé ou très peu (mise en sécurité ou à l’abri), la mission du secouriste va se concentrer sur l’accompagnement du blessé, la réévaluation médicale et les préparatifs en vue de faciliter l’arrivée des secours professionnels.

Globalement et avec un niveau d’entraînement médical de base, après la prise en charge initiale au moyen du protocole MARCH(E), il faudra veiller à :

 

  1. Maintenir les VAS (Voies Aériennes Supérieures). Si aucune alternative n’est disponible, il convient d’incliner la tête de la victime vers l’arrière pour ouvrir les voies aériennes supérieures (VAS), même si cela peut poser un risque potentiel pour la colonne vertébrale, car l’ouverture des VAS est une priorité. Si la victime est inconsciente, la placer en PLS (Position Latérale de Sécurité), corps stabilisé et tête basculée en arrière.
  2. S’assurer régulièrement d’une respiration toujours adéquate.
  3. Vérifier que les saignements contrôlés n’ont pas repris.
  4. Prévenir l’hypothermie et protéger des éléments extérieurs (vent, neige, insectes, pluie, etc.) Construire éventuellement un abri pour protéger le blessé des circonstances environnementales, faire du feu si nécessaire.
  5. Aider à gérer la douleur et assurer le réconfort moral du blessé.
  6. Changer de position toutes les 20-30 minutes ou de côté pour les blessés placés en PLS afin d’éviter les plaies de pression (escarres).
  7. Nourrir, hydrater et soulager des besoins naturels.
  8. Réévaluer fréquemment l’état du blessé et les actions entreprises lors des premiers soins (attelles, bandages, pansements…).
  9. Parler fréquemment au blessé (même s’il est inconscient).
  10. Communication avec le reste de l’équipe, avec les secours professionnels.
  11. Organiser la veille auprès du blessé pour la nuit.
  12. Baliser, jalonner, éclairer la zone en fonction du contexte.

Évacuer un blessé, c’est non seulement le transporter d’un point A vers un point B, mais c’est aussi veiller au suivi de son état d’un point de vue médical (réévaluation), s’assurer de son confort (hypothermie, hyperthermie, escarres) , de son confort (besoins naturels, faim, soif, etc.) et de son moral (expliquer, rassurer, discuter) tout en veillant à l’état général des personnes en charge de l’évacuation et de porter la victime.

Il a été décidé de déplacer le blessé

Pour toute une série de raisons, il se peut donc que l’équipe soit amenée à évacuer le blessé. Si cette décision a été prise, il s’agit alors de le faire aussi soigneusement que possible. Il faut que l’opération soit préparée, pensée et enfin expliquée à tous les protagonistes, victime incluse.

Si une longue distance est à parcourir, les garrots et pansements devront être fréquemment contrôlés et la prévention des plaies de pression (escarres) devra être considérée.

Ici aussi, le blessé devrait être protégé le plus possible des éléments extérieurs (soleil, pluie, vent, neige, fumées et nuages de poussière, insectes…). L’hypo/hyperthermie, la soif et la faim, ainsi que la satisfaction des besoins naturels doivent être également prises en compte et réévaluées fréquemment.

Il est clair qu’il y a peu de chance que le groupe dispose d’un matériel dédié à l’évacuation, il faudra donc l’improviser. La technique préconisée dans la plupart des recommandations de soins en milieu sauvage est celle du cocoon wrap qui comme son nom l’indique consiste à fabriquer une sorte de cocon entourant le blessé afin de le protéger des conditions environnementales, de prévenir l’hypothermie induite par sa condition de blessé et de le rassurer grâce à la sensation protectrice que procure le cocon.

LA TECHNIQUE DU COCOON WRAP

Équipement nécessaire :

  • Corde d’escalade (min 15 à 20 m)
  • 3 tapis de sol en mousse ou autogonflants
  • Couverture isotherme et/ou Blizzard
  • Sac de couchage
  • 1 sac à dos 60 L ou plus avec ceinture de hanches
  • 1 sangle ou du duct tape
  • 4 bâtons de marche ou pagaies ou 2 longues branches (ø min. : 4cm, L : ±240cm)
  • 1 bâche type poncho rectangulaire
  • Serviettes éponges
  • Bonnet, gants de la victime

Comment faire ?

  1. Délover la corde en U successifs sur une longueur de 2,5m. (photo 1)
  2. Étaler la bâche sur la corde et poser les 2 barres latérales distantes de 70 cm au-dessus de la bâche.
  3. Replier les côtés de la bâche au-dessus des 2 barres latérales.
  4. Poser les 3 tapis de sol sur la bâche. (Photo 2)
  5. Poser le sac vide sur le haut du dispositif, bretelles vers le ciel et ceinture de hanches vers le haut de la civière. (Photo 3)
  6. Après avoir placé les gants, bonnet (selon saison), la couverture isotherme au plus près de la peau et la couverture Blizzard™ au-dessus des vêtements, installer le blessé dans le sac de couchage. (Photo 4)
  7. Avec une technique de manipulation respectueuse de l’axe tête-tronc et en douceur, placer le blessé sur la civière.
  8. Immobiliser la tête grâce à la ceinture de hanches du sac et sécuriser le dispositif avec une sangle-cravate ou du duct tape. (Photo 5)
  9. Envelopper avec le reste de bâche.
  10. Sécuriser au moyen de nœuds successifs faits à intervalles réguliers sur la bâche. (Photo 6)

«  Brancarder, c’est dur, très dur. Ça use physiquement et moralement. »

Coordination et techniques de levage d’un brancard

Principes généraux :

  • Dans cette configuration, on peut soulever le blessé à 2, 3 ou 4 personnes.
  • Si on a le luxe de 2 porteurs pour chaque côté, il faudrait veiller à ce que le binôme avant soit constitué de personnes de taille similaire, idem pour l’arrière.

Levage :

  • L’ensemble des manœuvres de relevage et de dépôt est réalisé sous la direction d’un chef qui se positionnera de manière à avoir le visuel sur la victime.
  • Le relevage est pratiqué de façon coordonnée.
  • Le chef place les porteurs en fonction de leur taille et de leur force.
  • Les commandements d’exécution doivent être entendus de tous les porteurs.

Sécurité des secouristes :

  • Garder le dos droit et travailler avec les muscles des membres inférieurs en s’éloignant le moins possible de la position verticale.
  • Sauf circonstances exceptionnelles, les mouvements de nuit doivent être évités.

Brancardage :

  • Si la victime est consciente, il faut la rassurer et lui expliquer la manœuvre qui va être mise en œuvre.
  • Le brancard doit rester le plus possible horizontal.
  • Le chef surveille en permanence la victime et la position du brancard.

Réévaluations :

Toutes les 5 (victime instable*) à 15 minutes (victime stable**), il faudra organiser un arrêt durant lequel, il y aura lieu de procéder à :

Obligatoire :

  • Réévaluation du patient > MARCH(E) + signes vitaux de base : conscience, respiration, pouls si possible et température de la peau)
  • Interrogation du patient au sujet des besoins naturels

En fonction du déroulement :

  • Évaluation de la soif, faim du blessé, des porteurs
  • Évaluation quant au changement du rôle des porteurs

* Victimes stables = blessés légers (fracture simple et fermée, brûlure de petite surface sur une zone non critique, plaies ou saignements secondaires, etc.).

** Victimes instables = blessés graves (problèmes aux Voies Aériennes Supérieures, de respiration, ayant perdu beaucoup de sang, multiples fractures, brûlures étendues, inconscientes, amputation de membre, etc.).

Et pragmatiquement, comment décider si le blessé est stable ou instable ?

À notre niveau de connaissances : selon le bon sens.

CIVIÈRES SOUPLES

Les civières souples sont un équipement qui peut se révéler d’une utilité absolue lorsque s’impose à nous l’évacuation d’un blessé (avec perte de mobilité) par brancardage. En effet, on ne le répétera jamais assez, improviser un équipement prend du temps et, bien souvent, n’offre qu’une solution approximative au regard de ce que permet un équipement spécialement étudié et conçu pour un usage déterminé. Dans le cas des civières souples, il en existe de multiples modèles à tous les prix (de 15 à plus de 500 euros !). Les modèles très bon marché ne sont souvent qu’une simple bâche pourvue de découpes latérales en guise de poignées. Certaines permettent d’y glisser 2 bâtons latéraux pour renforcer le dispositif. Ces bâches peuvent servir à divers usages détournés (confection d’abri, isolation du sol, collecteur d’eau de pluie…), mais ont le défaut d’être fragiles et sont donc peu recommandées pour un usage intensif, à savoir une évacuation à pied de plus de quelques centaines de mètres. Elles ne sont pas destinées à être réutilisables. Ce qui veut dire qu’un modèle bon marché ne pourra probablement pas être utilisé pour des entraînements et en plus être destiné à une utilisation réelle. Il faut tenir compte de ces considérations financières, d’opérationnalité et d’impact écologique dans la démarche d’achat.

Il existe des modèles sophistiqués particulièrement adaptés au contexte tactique, mais aussi aux situations où un véhicule peut porter ce type d’équipement assez lourd.

À force d’utiliser des modèles qui ne donnaient pas entière satisfaction sur mes missions, les modèles utilisés étant soit trop lourds, soit trop chers, soit trop fragiles ou trop encombrants, nous en avons développé un modèle adapté au cahier des charges requis, selon moi, pour une bonne civière souple destinée à être utilisée loin de toute aide et emportée sur les opérateurs mêmes. Cette civière idéale, selon mes critères, devait être :

  • Très solide et capable de transporter des personnes lourdes ou avec de l’équipement tactique)
  • Confortable pour le blessé (souple, suffisamment longue)
  • « Confortable » pour les porteurs (bonnes poignées)
  • Réutilisable (cf. solidité, mais aussi lavable en machine !)
  • Légère (tissu et sangles en fibres modernes type Ripstop et Cordura)
  • Compacte (portable sur l’homme)
  • Facile et rapide à mettre en œuvre
  • Low-Tech (pas de mécanisme à enclencher, de boucles en plastique sophistiquées, etc.)
  • À un prix raisonnable (largement en dessous des prix des modèles sophistiqués haut de gamme)

 

Après plusieurs mois de développement, mais surtout d’essais terrain lors de déploiement en Afrique sur des missions diverses, le Soft Stretcher de Solutions Trauma remplit pleinement ce cahier des charges et est approuvé par le terrain comme l’ensemble des produits de la marque. C’est donc dorénavant la civière souple qui équipera les Rangers que je forme et avec qui je travaillerai en Afrique.  

PLUS D’INFORMATIONS : solutionstrauma.com

 

3 moyens d’évacuation

LA CIVIÈRE IMPROVISÉE

Matériel : 2 vestes et 2 branches droites de 2m

Technique :

  1. Retourner les manches des 2 vestes
  2. Enfiler les 2 bâtons confectionnés dans 2 branches de 2m
  3. Placer la victime sur les vestes
  4. Porter avec un minimum de 2 personnes

Avantages : Utilisation d’un équipement minimum, facile et rapide à improviser

Inconvénients : Nécessité de branches et donc inadapté aux biotopes non arborés

LA SANGLE (+/-15 euros)

Matériel : 1 sangle tubulaire de 6m ou de la corde d’escalade

Technique :

  1. Placer la sangle comme sur la photo
  2. Placer la victime sur la sangle
  3. Porter avec un minimum de 3 personnes

Avantages : Utilisation d’un équipement minimum, facile et rapide à improviser

Inconvénients : Inconfort du blessé

LA CIVIÈRE SOUPLE MANUFACTURÉE (entre 15 et 250 euros)

Matériel : 1 civière souple

Technique :

  1. Sortir l’équipement de sa pochette
  2. Installer le blessé sur la toile
  3. Porter avec un minimum de 2 personnes

Avantages : Confort pour le blessé, solidité et praticabilité pour les porteurs

Inconvénients : Nécessite l’emport d’un équipement supplémentaire, onéreux

Pour conclure

En milieu sauvage, les paramètres sont multiples et s’entremêlent, compliquant ainsi la prise de décision finale : déplacer ou pas le blessé. Est-ce que ça vaut le risque ? Toute la question est là et bien sûr il n’y a pas de réponse type. La première vraie bonne considération est la suivante : faut-il déplacer le blessé ? Si la réponse est oui, vient alors la seconde considération : faut-il vraiment déplacer le blessé ?