Obturer une plaie thoracique est-il utile ?

Un article de blog par Joël Schuermans

Plaie pénétrante thoracique, on fait quoi ?

Non seulement il n’y a aucune preuve valable qu’un pneumothorax ouvert doit être obturé, mais de plus si vous le faites, vous pouvez provoquer par cette action un pneumothorax sous tension. Le contraire donc de ce que l’on cherche en apposant le pansement thoracique. Alors on fait quoi ? On ferme ou pas ? Occlusif ou ventilé ? On improvise ?

« Il n’y a aucune preuve valable qu’un pneumothorax ouvert doit être obturé ! »

Pose d'un thoracique - Ranger
Loin&Paré®

L’auteur instruit ici à un groupe de stagiaires Rangers en Namibie les différents scénarios de traitement d’une plaie ouverte au thorax. Le but étant de rester le plus pragmatique possible. Il faut bien sûr tenir compte des recommandations émanant des instances reconnues (TC3 et TC2 notamment), mais garder l’esprit critique en oubliant les dogmes infondés et non validés par de la réalité clinique.

Comme pour tout le reste, le marché des premiers soins tactiques est devenu un gros business. Au point qu’il devient difficile d’identifier ce qui relève aujourd’hui de la stratégie médicale ou de la stratégie commerciale.

Pour chaque geste à poser, une multitude produits par tout autant de marques. Pour ces dernières, entrer sur les marchés militaires, c’est la garantie du jackpot tant les quantités sont énormes. Particulièrement pour les entreprises américaines qui savent que si elles décrochent le sésame TCCC ou mieux, la reconnaissance du DoD (Department of Defense US), ça veut dire toute l’armée américaine et les armées de l’OTAN derrière, puis tout autant de marchés civils qui suivront. Colossal !

On comprend mieux dès lors pourquoi chaque produit qui sort est rendu indispensable par une kyrielle d’études ou de tests commandités par… les fabricants eux-mêmes. Il n’est donc évidemment pas simple de trier l’ivraie du bon grain. Les conflits d’intérêts sont nombreux, tout autant que les messies vantant ceci ou cela pour diverses raisons et rarement les bonnes.

Où cela se complique, c’est lorsque, en tant qu’opérateur au budget limité et à l’emport possible restreint par le contexte opérationnel, il faut choisir quoi emporter et à quoi s’entraîner. On tente de faire le point.

Plaie au thorax

Une heure s’est écoulée entre le coup de couteau qui a occasionné cette blessure et ma prise en charge du blessé. Il est arrivé entre mes mains en étant conscient, avec des signes vitaux normaux et une respiration adéquate. La plaie est donc impressionnante, mais ce pneumothorax ouvert n’est pas mortel.

Pneumothorax sous tension

Dans le mécanisme du pneumothorax sous tension, l’air pénètre dans la poitrine et s’accumule à l’extérieur du poumon, mais ne s’échappe pas. Au fur et à mesure l’air s’accumule à l’intérieur de la poitrine, mais reste à l’extérieur du poumon, et crée ainsi, avec le temps qui passe, une pression accrue à l’intérieur du thorax qui compressera le poumon lésé, puis les vaisseaux aortiques et enfin le coeur.

Plaie ouverte au thorax

Alors que de recommandation en recommandation, le comité TCCC et leurs homologues civils du TECC préconisent de sceller toutes les plaies thoraciques, il n’existe toujours pas à l’heure actuelle de preuves médicales probantes démontrant que cela serait nécessaire.

D’ailleurs, bien que le pneumothorax ouvert ou plaie thoracique soufflante soit d’apparence dramatique, il est rarement fatal. Le changement de directive 13-02 du TCCC a d’ailleurs noté «qu’aucun décès n’est survenu au cours de la totalité des guerres américaines en Afghanistan (OEF et OIF) du fait d’un pneumothorax ouvert isolé (sur 20 700 blessés tout de même !)»[1].

La littérature médicale nous apprend que «si une blessure survenue dans une paroi thoracique communique avec la cavité pleurale, il y a généralement un passage d’air audible pendant les deux phases de la respiration.»[2], c’est le fameux bruit de succion qui leur vaut le surnom de « plaie soufflante ». Concrètement, cela signifie que l’air pénètre dans la plaie ouverte située sur la paroi thoracique (créée par un coup de couteau, par exemple) pendant l’inspiration, mais qu’il est également expulsé pendant l’expiration. Ces bruits issus de la plaie sont aspirants et soufflants à la fois et ce son est la preuve que la victime ne va pas mourir d’un pneumothorax sous tension, car l’air ne s’accumule pas dans l’espace pleural. Il entre et il sort.

 

[1] 1Eastridge B, et al. Death on the battlefield (2001-2011): implications for the future of combat casualty care. J Trauma Acute Care Surg. 2012;73:S431– S437.

[2] Edgescombe E., et al. Principles of the early management of the patient with injuries to the chest. J Natl Med Assoc.1964;56:193-197

« Les bruits de succion liés à une plaie soufflante indique que l’air entre, mais également sort. Ce qui est un signe que la victime n’est pas en train de développer un pneumothorax sous tension. »

Pour tout type de plaie au thorax, la position semi-assise sera toujours la plus appropriée pour un blessé conscient.

Pneumothorax sous tension

Un pneumothorax sous tension, quant à lui, peut être fatal. Dans ce cas précis, l’air pénètre dans la poitrine et s’accumule à l’extérieur du poumon, mais ne s’échappe pas. Au fur et à mesure l’air s’accumule à l’intérieur de la poitrine, mais reste à l’extérieur du poumon, et crée ainsi, avec le temps qui passe, une pression accrue à l’intérieur du thorax. Cette pression aura pour effet d’affaisser le poumon du côté blessé et de nuire à la fonction cardiaque et à celle du poumon indemne en les comprimant à leur tour. Il est à noter que ce processus prend un certain temps. En effet, avec une capacité pulmonaire totale moyenne de 6 litres chez l’adulte, un pneumothorax sous tension cliniquement significatif ne se produira pas avant l’accumulation de près de 3 litres d’air dans l’hémithorax blessé. Toutefois, et l’important est là, un pneumothorax sous tension est mortel et il y a lieu d’éviter de le créer par notre action de premier répondant. Le trou dans la paroi thoracique laisse certes entrer de l’air, mais il laisse généralement aussi sortir de l’air. Si l’on obture ce trou avec un pansement occlusif, l’air ne peut alors plus s’échapper. Et s’il existe une lésion pulmonaire secondaire et qu’une fuite d’air provoque une nouvelle accumulation d’air, celui-ci ne peut pas s’échapper par le trou que l’on vient de colmater. Cela peut alors provoquer un pneumothorax sous tension et la mort.[3] C’est pour cette raison que l’International Liaison Committee on Resuscitation First Aid Task Force ne soutient pas non plus l’application d’un pansement occlusif sur les plaies thoraciques ouvertes dans ses recommandations.[4]

[3] Synder H., et al. The management of intrathoracic and thoracoabdominal wounds in the combat zone. Ann Surg 1945;122:333-357.

[4] Singletary EM., et al. 2015 International Consensus on First Aid Science With Treatment Recommendations. Circulation. 2015;132: S269-S311

 

 

Rangers et OLAES

Dans le cadre de l’instruction des Rangers au TWFA (Tactical Wilderness First Aid), nous pratiquons des premiers soins pragmatiques basés sur un équipement minimum, mais optimisé au niveau des coûts, de l’encombrement et de résistance au temps et à l’environnement. Pour la prise en charge des plaies ouvertes au thorax, nous utilisons le pansement OLAES et son feuillet plastique intégré.

Ventilé versus occlusif

Bien que la littérature médicale rapportant des expérimentations sur les animaux montre que les pansements thoraciques ventilés commerciaux (par rapport aux pansements occlusifs non ventilés) sont efficaces pour empêcher qu’un pneumothorax ouvert avec fuite d’air continue ne se transforme en pneumothorax sous tension[5], il n’y a toujours pas de preuve claire qu’un pneumothorax ouvert isolé devrait être obturé.

Le pire scénario avec un pneumothorax ouvert est un collapse à 100% du poumon qui se déplacerait ensuite pour comprimer les gros vaisseaux aortiques, le cœur et l’autre poumon. Les médecins urgentistes prennent régulièrement en charge des patients présentant des pneumothorax spontanés avec un collapsus complet à 100 % d’un poumon sans pour autant que la victime présente des anomalies significatives au niveau des signes vitaux ou une détresse respiratoire quelconque au repos.

 

[5] 10Kheirabdai BS. et al. Do vented chest seals differ in efficacy? An experimental evaluation using a swine hemopneumothorax model. J Trauma and Acute Care Surg; 2017 Jul;83(1):182-189.

PLAIE PÉNÉTRANTE AU NIVEAU DU THORAX : QUE FAIRE ?

POUR RESTER ACADÉMIQUE

  1. Toute victime présentant une plaie ouverte au niveau du thorax devrait être traitée avec un pansement thoracique ventilé.[7]

  2. Si un pansement thoracique ventilé n’est pas disponible, n’improvisez pas.[8]

  3. Si la victime respire spontanément, laissez la blessure thoracique ouverte pour éviter un pneumothorax sous tension.[9]

Si la victime respire spontanément, mais manifeste des signes de détresse respiratoire, appliquez un pansement occlusif ET surveillez les signes de pneumothorax sous tension. Pratiquer une décompression manuelle du thorax avec relâchement/repositionnement du pansement thoracique si nécessaire.

 

[7]Littlejohn, LF.  (2017)  “Treatment of Thoracic Trauma: Lessons From the Battlefield Adapted to All Austere Environments”.  Wilderness & Environmental Medicine.  28, S69–S73

[8] “In a penetrating chest wound is a three-sided dressing or a one-way chest seal better at preventing respiratory complications?”  Emergency Medicine Journal 2012;29:342-343.

[9] Zideman DA, De Buck EMJ, Singletary EM, Cassan P, Chalkias AF, Evans TR, Hafner CM, Handley AJ, Meyran D, Schunder-Tatzber S, Vandekerckhove PG.  (2015)  “European Resuscitation Council Guidelines for Resuscitation 2015 Section 9. First aid”.  Resuscitation.  95. p28

 

« Il n’y a toujours pas de preuve claire qu’un pneumothorax ouvert isolé devrait être obturé. »

Et l’improvisation alors ?

En 2008, le comité TCCC a supprimé la recommandation de placer des pansements thoraciques improvisés à trois côtés sur les blessés. Après une analyse des études qui abordent le sujet, le comité a indiqué que rien ne prouvait que le pansement empêchait la conversion d’un pneumothorax ouvert en un pneumothorax sous tension. En 2013, après un nouvel examen, les membres du comité n’ont à nouveau trouvé aucune preuve que le pansement improvisé était «efficace pour inverser la difficulté respiratoire causée par un pneumothorax ouvert ou pour prévenir la conversion d’un pneumothorax ouvert en un pneumothorax sous tension»[6]. Le pansement occlusif à trois côtés est un mythe et est inutile.

 

[6] Butler F.,et al. Management of open pneumothorax in Tactical Combat Casualty Care: TCCC Guidelines Change 13-02

En résumé

Si vous choisissez d’obturer les plaies thoraciques, utilisez un pansement thoracique ventilé. Si vous voulez travailler en fonction des preuves scientifiques probantes et réduire le matériel médical que vous transportez, gardez à l’esprit qu’il n’y a pas de preuve irréfutable que les blessures thoraciques pénétrantes impliquant un seul côté d’un blessé qui respire adéquatement doivent être obturées.

RCS

Si vous utilisez un pansement thoracique ventilé, nous vous recommandons le Russell Chest Seal (RCS) de Prometheus. En effet, celui conçu par la firme anglaise remporte haut la main les tests indépendants réalisés sur la réelle efficacité des pansements thoraciques ventilés.

PLAIE PÉNÉTRANTE AU NIVEAU DU THORAX : QUE FAIRE ?

POUR TRAVAILLER EN SE BASANT SUR DES PREUVES CLINIQUES

À l’image de certains protocoles de premiers soins tactiques adoptés par certaines armées (Scandinaves notamment) et ce que je pratique lors de l’instruction des Rangers au TWFA :

  1. Si la victime respire spontanément, couvrez simplement la plaie avec une compresse stérile ou un pansement type OLAES pour limiter l’entrée parasitaire.

  2. Si la victime manifeste des signes de détresse respiratoire, appliquez un pansement thoracique ventilé ET surveillez les signes de pneumothorax sous tension.

 

 

Si on cumule le fait que les dommages psychiques sont bien moins visibles que les blessures physiques au fait que les armées en général ont une tendance à considérer toute forme de plainte comme de la faiblesse, on comprend pourquoi les troubles psychiques opérationnels n’ont commencé à être étudiés sérieusement que récemment. Aujourd’hui, aucune armée moderne ne peut faire l’économie de prendre ce sujet en compte. Les soldats professionnels partent plus, les contraintes sont toujours plus présentes et le monde moderne ne facilite pas spécialement ces phases de vie particulières que sont les Opex. Certes l’hyperconnectivité via Internet, quand elle possible, maintient un lien avec ceux laissés au pays par les soldats, mais, d’autre part, peut donner un sentiment de passer à côté d’une partie de la vie qui continue à se dérouler ou de ne pas permettre la pleine présence psychologique sur la mission en elle-même.

De tout temps, le soldat a été soumis à de fortes pressions psychologiques sur les théâtres d’opérations. Le soldat vit sur les théâtres d’opérations et en subit des dommages physiques et psychologiques.

PHOTO : L’État de Stress Post Traumatique, quand les souvenirs conscients ou inconscients deviennent l’ennemi du quotidien du vétéran.


Chaque soldat le sait, les opérations extérieures, même si elles sont une finalité dans une vie de militaire, sont psychologiquement exigeantes. Entre la vie sociale et familiale qu’on laisse, les contraintes liées à l’environnement de déploiement, les dangers de la mission, les combats éventuellement pour certains, les atteintes physiques ou pire la mort d’un équipier pour d’autres, mais aussi le réajustement du retour, ces opérations ne sont pas une sinécure, loin de là.

On peut donc, sans trop de risques de se tromper, s’engager pour dire que chaque soldat sera dans une certaine mesure propre à chacun et à chaque expérience, tous rangs et toutes spécialités confondus, touché d’une manière ou d’une autre par le stress opérationnel, voire, s’il se chronicise ensuite, par l’état de stress post-traumatique, fréquemment désigné par l’acronyme ESPT (PTSD en anglais).

PHOTO : En mission, l’environnement de déploiement et la rupture avec le milieu social habituel sont déjà en soi des causes de stress, même sans combat.


PHOTO : La vie en conditions austères participe à cet écart important entre la vie normale et la vie en mission. Le réajustement d’une vie à l’autre prend toujours du temps.


“ Après une mission, une expédition, un long séjour isolé nécessite une période de réajustement. Celle-ci ne doit être ni éludée, ni prise à la légère.”

PHOTO : Opérations de combat de nuit dans le désert malien en 2017. Rendu à la vie civile, chez le vétéran, certains bruits, odeurs ou sensations peuvent ranimer de vieux souvenirs traumatisants de combats.


GUERRE

Cet article s’inspire notamment des travaux du journaliste américain Sebastian  Junger. Pour ceux qui ne le connaissent pas, Junger est un journaliste et écrivain américain, notamment auteur des best-sellers En pleine tempête et Guerre, publié en France par les Éditions de Fallois. En 2010, Sebastian Junger a également coréalisé le film documentaire Restrepo avec Tim Hetherington sur la guerre d’Afghanistan. Dans ce film-choc et brillant, les deux réalisateurs ont cherché à filmer la guerre à travers les soldats au combat, de la manière la plus réaliste possible, comme si le spectateur participait lui-même aux combats. De cette expérience, Junger tirera également Guerre, un récit hyper réaliste fruit de ses différents séjours ponctuels durant 15 mois au sein d’une unité de combat de l’US Army.

BRUITS ET SONS DU TRAUMA

La fondation David Lynch a fait appel à l’agence publicitaire Herezie pour sensibiliser le public sur la difficulté pour les anciens combattants à oublier les bruits liés à la guerre. Le film fait un astucieux parallèle entre les sons du quotidien et ceux d’un conflit, nous plongeant ainsi dans la tête d’un vétéran victime de stress post-traumatique.

Présentation de l’éditeur :

Pendant 15 mois, S. Junger a suivi une section américaine occupant un avant-poste dans une vallée perdue de l’Afghanistan, avec un objectif tout à la fois simple et ambitieux : faire comprendre ce qu’éprouvent les soldats – ce que c’est vraiment que la guerre. Dans ce livre, il donne un aperçu de ses divers éléments : la peur, le sens de l’honneur et la confiance qui s’établit entre les hommes. Il évoque des choses que les civils ne connaîtront jamais : l’attente paralysante avant le combat ; les énormes risques que prennent machinalement les soldats au feu pour protéger leurs frères d’armes ; le désarroi et la rage qu’on éprouve quand on tombe dans une embuscade. Page après page, “Guerre” éclaire la vie de ces hommes qui combattent pour nous : ce qu’est leur existence quotidienne, ce qu’ils voient, ce qu’ils découvrent, ce qu’ils ressentent. Junger fait appel à la biologie, à la psychologie et à l’histoire militaire pour expliquer les décisions qu’ils doivent prendre et pour les replacer dans leur contexte. “Guerre” décrit d’un regard aigu et avec une émotion sincère une expérience que très peu de gens parviennent véritablement à comprendre et qui reste aujourd’hui encore l’ultime épreuve que peut affronter la nature humaine.

316 pages. Éditions de Fallois

PHOTO : Membres des FS en intervention au Mali. Il est évident que les situations de combat génèrent un stress qui peut laisser longtemps des séquelles chez les opérateurs, mais elles sont loin d’être les seules causes de déclenchement de stress chronique.

PHOTO : Environ 50% des anciens combattants américains d’Irak et d’Afghanistan ont introduit une demande d’invalidité permanente liée au ESPT.

Lors d’une interview, le journaliste expliquait que, alors que les taux de mortalité au combat aux États-Unis n’ont jamais été aussi bas depuis 70 ans, les demandes de statut d’invalidité ont quant à elles grimpé en flèche. On arrive donc à ce paradoxe qu’il y a 3 fois moins de morts au combat aujourd’hui que lors de la Guerre du Vietnam, mais, mais 3 fois plus de demandes d’invalidité. Ces chiffres n’ont quelque part rien de mystérieux : la création de nouvelles doctrines médicales comme le TCCC, la formation et l’équipement des soldats (EPI et IFAK), les vecteurs d’évacuation et les progrès médicaux de toute la chaîne médicale y ont concouru. Cependant, comme les blessés survivent davantage aux blessures – ce qui signifie moins de morts lors des opérations – il y a plus de vétérans qui nécessitent des soins et une prise en charge financière à vie. D’autre part, l’armée américaine a actuellement le taux d’état de stress post-traumatique (ESPT) le plus élevé de son histoire et même probablement, selon Junger, le plus élevé au monde.

Environ 50% des anciens combattants d’Irak et d’Afghanistan ont introduit une demande d’invalidité permanente liée au ESPT. Mais ce qui interpelle lors de l’interprétation de ces chiffres, c’est que les troupes de combat ne représentent que 10 % de l’armée US, ajoute l’éminent journaliste, les 40 % restants doivent donc être expliqués par autre chose que par des traumatismes liés directement au combat.

Junger pose alors une question aussi directe qu’inhabituelle dans l’angle d’approche : Et si l’ESPT se situait non pas dans le traumatisme du combat, mais lors du retour dans la vie moderne ?

Il évoque que le réajustement nécessaire pour réintégrer notre vie normale, au pays, auprès des nôtres, serait une cause importante de l’ESPT. En France, en l’absence de toute évaluation systématique, les données sont parcellaires.

Et si l’ESPT se situait non pas dans le traumatisme du combat, mais lors du retour dans la vie moderne ?

LES DIFFICULTÉS DU RÉAJUSTEMENT

Les recherches anthropologiques et études sociologiques ont montré que l’Homo Sapiens est une espèce grégaire faite pour vivre dans des groupes structurés de 20 à 50 individus ou chacun y tient un rôle. Exactement de la même manière qu’est structurée la vie militaire. Dans l’armée, dans l’unité dans laquelle on sert, puis dans le sous-groupe spécifique avec nos équipiers, on se retrouve en tribu, au sein d’un groupe connu où chacun se connaît et a sa tâche. Les soldats trouvent un soutien émotionnel, d’une intensité tribale, dans la cohésion d’une unité militaire, et ça leur manque cruellement lorsqu’ils rentrent chez eux. Finalement, une partie du traumatisme de la guerre, c’est de l’abandonner, écrit Junger. C’est dans les sociétés “pacifiques” que l’on peut rencontrer ce stress de retour à la vie civile, car nos sociétés « en paix » sont concentrées sur l’effort individuel, sur une sorte d’égocentrisme où chacun vaque à son quotidien. Sans doute ce stress est-il donc encore plus important que dans la guerre elle-même, bien plus que dans des sociétés à propension belliqueuse, puisque dans ces dernières la guerre n’est que la continuité de la vie, perpétuant de fait l’esprit tribal au quotidien.

PHOTOS : Le stress lié à la confrontation des opérateurs avec les situations de mort violente spécifiques à la guerre est un facteur que les armées, en général, prennent en compte plutôt après (curatif) qu’avant (préventif) qu’il ne se produise.


Le choc psychologique que les vétérans américains vivent chez eux, enracinés dans le vaste fossé qui sépare la nature essentiellement tribale de la guerre et les sociétés modernes et individualistes, est l’échec de la culture contemporaine à réintégrer correctement ceux qui souffrent de dangers de traumatismes générés par elle. Et ceci ne concerne pas seulement les soldats, mais également le personnel d’urgence – pompiers et soignants –  et tous les opérateurs privés qui travaillent en contexte volatile. Ceci n’est pas une question de financement ou de soins de santé mentale mal utilisés, mais plutôt lié à l’incapacité de la modernité à offrir un lien communautaire à la mesure de l’expérience intense des anciens combattants. « Les humains ne se soucient pas des difficultés, écrit Junger, tant qu’ils ne se tracassent pas de se sentir inutiles », et « la société moderne a perfectionné l’art de faire en sorte que les gens ne se sentent pas nécessaires ». La juste reconnaissance sociétale de l’effort fourni par les soldats au service de la Nation serait un pas important, ensuite la valorisation de l’utilité de ce travail pour la société en serait un second.

Finalement, une grande majorité de stress liés au retour d’Opex serait induite par la fin de celles-ci puisqu’elle signifie le retour dans une société peu reconnaissante du service rendu et dans un milieu social où le partage des émotions vécues dans ce contexte spécifique que sont les théâtres d’opérations sera compliqué, voire impossible. Le tout couplé à une perte des repères d’une tribu établie pour devoir se réintégrer dans une structure sociale et familiale qui elle s’est adaptée à l’absence de l’individu. Il y a donc un choc entre la satisfaction de réintégrer sa vie sociale et la fin du confort psychologique de la vie tribale, parfois encore démultiplié par une intensité émotionnelle pour ceux qui ont vécu, en plus, des situations de combat.

PHOTO :  L’État de Stress Post Traumatique ne touche pas que les opérateurs ayant connu les situations de combat, bien au contraire. Il peut concerner tout individu ayant vécu des situations difficiles à partager avec son entourage.


PHOTO : Subir des tirs directs ou indirects reste, même pour des opérateurs entraînés et/ou aguerris, une expérience marquante, à des degrés divers en fonction des individus, mais marquante.


LES TROUBLES COMPORTEMENTAUX DE GUERRE

Les troubles comportementaux de guerre sont des troubles psychiques et relationnels qui apparaissent en condition de guerre ou de stress intense, ou à la suite d’une exposition à ces conditions.

Ils peuvent affecter des soldats, leur famille et leurs proches ou d’autres acteurs (actifs ou passifs) d’un conflit armé.

Dès la Première Guerre mondiale, la psychiatrie militaire a identifié divers syndromes, plus ou moins bien compris et diversement nommés Shell-Shock, Battle Stress, Battle Fatigue… De nombreux soldats atteints par ces traumatismes psychologiques furent accusés de tire-au-flanc et furent fusillés durant les combats de 1914-1918.

Une étude canadienne estime que jusqu’à 10% de ses vétérans ayant été affectés dans une zone de guerre, y compris sur des missions de maintien de la paix de l’ONU, seront atteints d’une affection chronique appelée état de stress post-traumatique (ESPT), alors que d’autres n’éprouveront que certains des symptômes associés à ce trouble.

L’intensité et la durée du trouble post-traumatique sont très variables, allant de quelques semaines à plusieurs années. Environ la moitié des personnes qui présentent des symptômes de stress post-traumatique s’en remettent spontanément en l’espace d’un an ou deux. Chez d’autres, le trouble de stress post-traumatique se chronicise pour devenir un état (ESPT). L’intervention extérieure de professionnels de la santé mentale devient alors indispensable. Non traités, les symptômes vont amplifier et peuvent résulter en des situations dramatiques (suicide, violence, perte de tout repère…). On constate, dans le civil comme dans les armées, une très grande variabilité dans les atteintes psychiques.

PHOTO : Le recours de plus en plus fréquent aux médicaments, à l’alcool ou aux drogues est un signe manifeste de la dégradation d’une situation et doit bien sûr alerter l’entourage.


Ce stress post-traumatique a été également constaté chez les survivants lors de catastrophes soit sur mer, sur terre ou dans les airs. C’est lors des catastrophes aériennes, en ce qui concerne les civils, que l’on a pris très tôt conscience de l’existence de tels stress. Qu’elles soient civiles ou militaires, les personnes confrontées un jour ou l’autre à un événement traumatique qui met en question leur perception du monde ou même d’elles-mêmes présentent des comportements physiologiques comme psychologiques qui vont persister longtemps. Une nouvelle dimension de ces stress, mais dont les études ne font que commencer, concerne bien sûr les survivants et intervenants lors d’attentats extrêmement violents et traumatisants.

Une victime souffrant d’un ESPT va se plaindre d’un sentiment de désespoir ou d’horreur associé à une (ou plusieurs) de ces 3 réactions :

  • Intrusion: la victime revit continuellement la scène traumatique en pensée ou en cauchemars
  • Évitement: la victime cherche à éviter – volontairement ou involontairement – tout ce qui pourrait lui rappeler de près ou de loin le traumatisme
  • Hyperstimulation: la victime est fréquemment aux aguets et en état d’hypervigilance malgré l’absence de danger imminent.

Ces troubles s’accompagnent parfois de :

 

-Dépression, culpabilité

-Insomnies

-De dépendance (alcool, drogues…)

-D’idées suicidaires

-Troubles de la personnalité (dissociation, paranoïa…)

-Troubles du comportement alimentaire

PHOTO :  Alors que la plupart des stress post-opérationnels vont s’autoréguler avec du temps, certaines expériences, du fait d’un cumul de circonstances, vont dégénérer en un stress chronique aux conséquences parfois fatales.


PHOTO : Dès qu’un vétéran constate un décrochage chronique dans un des aspects de sa vie sociale, se faire aider par un professionnel devrait devenir une priorité pour briser au plus vite un continuum à coup sûr délétère.


Tous ces symptômes sont renforcés par une difficulté, voire une impossibilité, au retour dans la famille ou à la vie civile, de dire ou partager la violence qui a été donnée, vécue et ressentie, ce qui peut conduire à une désocialisation.

Les soldats se retrouvent souvent dans une situation d’incompris qui renforce sa vie solitaire ou la recherche du contact d’autres soldats. Ceci est amplifié par l’attitude globale de la société qui ne veut pas entendre parler de la guerre. De plus, pour des raisons opérationnelles évidentes, de nombreux soldats issus d’unités spécifiques, sont en outre tenus à un devoir de réserve ou ont dû s’engager à ne pas révéler ce qu’ils savent, ont fait ou vu.

PHOTO : Le corps médical dispose d’outils pour aider à diagnostiquer l’ESPT chronique et envisager la meilleure thérapie possible.


PHOTO : Les troubles de la personnalité peuvent être déstabilisants, voire effrayants, pour l’entourage du vétéran.


POUR ALLER PLUS LOIN : 3 LIVRES ET 3 APPROCHES

Voici 3 livres à l’esprit très différents, mais qui abordent finalement la même thématique : que peut-il se passer après l’évènement ? Au travers des expériences abordées, chacun à leur manière, ces textes ne manqueront pas d’informer (pour le premier) et de toucher (pour les 2 autres) les personnes déployées ou qui se retrouvent dans des milieux professionnels extrêmes puisque toutes ces personnes ont en commun de vivre des situations difficilement partageables avec d’autres.

Pour une approche complète et technique, mais toutefois accessible si vous voulez tout savoir sur le syndrome post-traumatique de guerre, nous vous recommandons Les traumatismes psychiques de guerre écrit par Louis Crocq, ancien psychiatre des armées, professeur associé de psychologie pathologique à l’université Paris-V et président de la section militaire de l’Association mondiale de psychiatrie.  Parues en 1999 chez Odile Jacob, ces 432 pages constituent une référence exhaustive sur ce thème.

 

 

Si vous êtes plutôt récit, impossible de ne  pas proposer le lauréat 2018 du prix littéraire de l’armée de Terre “Erwan Bergot” pour son livre Pilotes de combat. Nicolas Mingasson a accompagné les militaires sur les théâtres d’opérations et il se consacre aujourd’hui notamment aux personnes atteintes par le syndrome de stress post-traumatique. Dans ce livre, il nous livre une action militaire réelle au dénouement dramatique avec, en filigrane, la gestion de l’après quand on a perdu un frère d’armes.

Enfin, si les récits romancés ont votre préférence, une troisième variation sur le même thème, Mais ce qui persiste en moi est ce fragment d’inhumanité..

Ce roman, salué par la critique à sa sortie, relate la descente solitaire aux enfers de Simon, jeune soldat pris au piège de ses démons après plusieurs semaines d’opérations durant le génocide rwandais de 1994.

J’ai écrit ce livre en 2019.

Sources pour cet article :
  • D’après les textes des auteurs Sebastian Junger, Brian Bethune, Tim Hetherington
  • Stress post-traumatique et stress lié à la guerre. Psychus (http://www.leconflit.com)
  • Secourir en Zone Hostile. Joël Schuermans. Ed. Memorabilia
  • Trouble comportemental de guerre, définition. Wikipédia

DANS MES LIVRES DE TERRAIN

Dans l’ensemble de mon travail de terrain, j’aborde la question du support psychologique. Pour la simple et bonne raison qu’en situation hors normalité, violente ou pas, on n’en fera pas l’économie. La considération de l’urgence psychologique chez les personnes qui nous accompagnent lors des situations dégradées ou pour nous-même en cas d’intervention est à prendre en compte.

J’y consacre plusieurs pages dans mon livre SECOURIR EN ZONE HOSTILE sous le sous-titre Premiers Soins Psychologiques (PSP) qui traite, d’une manière générale, de l’approche et du soutien des victimes.

Par contre, dans mon guide de terrain SECOURIR EN SITUATION DÉGRADÉE, j’aborde les points importants pour l’intervenant, le secouriste en termes de stress post-évènement avec un self-test à réaliser par le secouriste pour s’auto-évaluer.

“ la société moderne a perfectionné l’art de faire en sorte que les gens ne se sentent pas nécessaires “

DANS UN PROCHAIN ARTICLE 

Nous aborderons la question de la déshydratation en mission et en expédition.

Le sujet sera traité de manière large et complète, tout en restant dans la vulgarisation en vue de connaissances qui soient pratiques et exploitables sur le terrain quoique vous fassiez.

Rendez-vous sur ce blog.