Plaie pénétrante thoracique, on fait quoi ?
Non seulement il n’y a aucune preuve valable qu’un pneumothorax ouvert doit être obturé, mais de plus si vous le faites, vous pouvez provoquer par cette action un pneumothorax sous tension. Le contraire donc de ce que l’on cherche en apposant le pansement thoracique. Alors on fait quoi ? On ferme ou pas ? Occlusif ou ventilé ? On improvise ?
« Il n’y a aucune preuve valable qu’un pneumothorax ouvert doit être obturé ! »
L’auteur instruit ici à un groupe de stagiaires Rangers en Namibie les différents scénarios de traitement d’une plaie ouverte au thorax. Le but étant de rester le plus pragmatique possible. Il faut bien sûr tenir compte des recommandations émanant des instances reconnues (TC3 et TC2 notamment), mais garder l’esprit critique en oubliant les dogmes infondés et non validés par de la réalité clinique.
Comme pour tout le reste, le marché des premiers soins tactiques est devenu un gros business. Au point qu’il devient difficile d’identifier ce qui relève aujourd’hui de la stratégie médicale ou de la stratégie commerciale.
Pour chaque geste à poser, une multitude produits par tout autant de marques. Pour ces dernières, entrer sur les marchés militaires, c’est la garantie du jackpot tant les quantités sont énormes. Particulièrement pour les entreprises américaines qui savent que si elles décrochent le sésame TCCC ou mieux, la reconnaissance du DoD (Department of Defense US), ça veut dire toute l’armée américaine et les armées de l’OTAN derrière, puis tout autant de marchés civils qui suivront. Colossal !
On comprend mieux dès lors pourquoi chaque produit qui sort est rendu indispensable par une kyrielle d’études ou de tests commandités par… les fabricants eux-mêmes. Il n’est donc évidemment pas simple de trier l’ivraie du bon grain. Les conflits d’intérêts sont nombreux, tout autant que les messies vantant ceci ou cela pour diverses raisons et rarement les bonnes.
Où cela se complique, c’est lorsque, en tant qu’opérateur au budget limité et à l’emport possible restreint par le contexte opérationnel, il faut choisir quoi emporter et à quoi s’entraîner. On tente de faire le point.
Une heure s’est écoulée entre le coup de couteau qui a occasionné cette blessure et ma prise en charge du blessé. Il est arrivé entre mes mains en étant conscient, avec des signes vitaux normaux et une respiration adéquate. La plaie est donc impressionnante, mais ce pneumothorax ouvert n’est pas mortel.
Dans le mécanisme du pneumothorax sous tension, l’air pénètre dans la poitrine et s’accumule à l’extérieur du poumon, mais ne s’échappe pas. Au fur et à mesure l’air s’accumule à l’intérieur de la poitrine, mais reste à l’extérieur du poumon, et crée ainsi, avec le temps qui passe, une pression accrue à l’intérieur du thorax qui compressera le poumon lésé, puis les vaisseaux aortiques et enfin le coeur.
Plaie ouverte au thorax
Alors que de recommandation en recommandation, le comité TCCC et leurs homologues civils du TECC préconisent de sceller toutes les plaies thoraciques, il n’existe toujours pas à l’heure actuelle de preuves médicales probantes démontrant que cela serait nécessaire.
D’ailleurs, bien que le pneumothorax ouvert ou plaie thoracique soufflante soit d’apparence dramatique, il est rarement fatal. Le changement de directive 13-02 du TCCC a d’ailleurs noté «qu’aucun décès n’est survenu au cours de la totalité des guerres américaines en Afghanistan (OEF et OIF) du fait d’un pneumothorax ouvert isolé (sur 20 700 blessés tout de même !)»[1].
La littérature médicale nous apprend que «si une blessure survenue dans une paroi thoracique communique avec la cavité pleurale, il y a généralement un passage d’air audible pendant les deux phases de la respiration.»[2], c’est le fameux bruit de succion qui leur vaut le surnom de « plaie soufflante ». Concrètement, cela signifie que l’air pénètre dans la plaie ouverte située sur la paroi thoracique (créée par un coup de couteau, par exemple) pendant l’inspiration, mais qu’il est également expulsé pendant l’expiration. Ces bruits issus de la plaie sont aspirants et soufflants à la fois et ce son est la preuve que la victime ne va pas mourir d’un pneumothorax sous tension, car l’air ne s’accumule pas dans l’espace pleural. Il entre et il sort.
[1] 1Eastridge B, et al. Death on the battlefield (2001-2011): implications for the future of combat casualty care. J Trauma Acute Care Surg. 2012;73:S431– S437.
[2] Edgescombe E., et al. Principles of the early management of the patient with injuries to the chest. J Natl Med Assoc.1964;56:193-197
« Les bruits de succion liés à une plaie soufflante indique que l’air entre, mais également sort. Ce qui est un signe que la victime n’est pas en train de développer un pneumothorax sous tension. »
Pour tout type de plaie au thorax, la position semi-assise sera toujours la plus appropriée pour un blessé conscient.
Pneumothorax sous tension
Un pneumothorax sous tension, quant à lui, peut être fatal. Dans ce cas précis, l’air pénètre dans la poitrine et s’accumule à l’extérieur du poumon, mais ne s’échappe pas. Au fur et à mesure l’air s’accumule à l’intérieur de la poitrine, mais reste à l’extérieur du poumon, et crée ainsi, avec le temps qui passe, une pression accrue à l’intérieur du thorax. Cette pression aura pour effet d’affaisser le poumon du côté blessé et de nuire à la fonction cardiaque et à celle du poumon indemne en les comprimant à leur tour. Il est à noter que ce processus prend un certain temps. En effet, avec une capacité pulmonaire totale moyenne de 6 litres chez l’adulte, un pneumothorax sous tension cliniquement significatif ne se produira pas avant l’accumulation de près de 3 litres d’air dans l’hémithorax blessé. Toutefois, et l’important est là, un pneumothorax sous tension est mortel et il y a lieu d’éviter de le créer par notre action de premier répondant. Le trou dans la paroi thoracique laisse certes entrer de l’air, mais il laisse généralement aussi sortir de l’air. Si l’on obture ce trou avec un pansement occlusif, l’air ne peut alors plus s’échapper. Et s’il existe une lésion pulmonaire secondaire et qu’une fuite d’air provoque une nouvelle accumulation d’air, celui-ci ne peut pas s’échapper par le trou que l’on vient de colmater. Cela peut alors provoquer un pneumothorax sous tension et la mort.[3] C’est pour cette raison que l’International Liaison Committee on Resuscitation First Aid Task Force ne soutient pas non plus l’application d’un pansement occlusif sur les plaies thoraciques ouvertes dans ses recommandations.[4]
[3] Synder H., et al. The management of intrathoracic and thoracoabdominal wounds in the combat zone. Ann Surg 1945;122:333-357.
[4] Singletary EM., et al. 2015 International Consensus on First Aid Science With Treatment Recommendations. Circulation. 2015;132: S269-S311
Dans le cadre de l’instruction des Rangers au TWFA (Tactical Wilderness First Aid), nous pratiquons des premiers soins pragmatiques basés sur un équipement minimum, mais optimisé au niveau des coûts, de l’encombrement et de résistance au temps et à l’environnement. Pour la prise en charge des plaies ouvertes au thorax, nous utilisons le pansement OLAES et son feuillet plastique intégré.
Ventilé versus occlusif
Bien que la littérature médicale rapportant des expérimentations sur les animaux montre que les pansements thoraciques ventilés commerciaux (par rapport aux pansements occlusifs non ventilés) sont efficaces pour empêcher qu’un pneumothorax ouvert avec fuite d’air continue ne se transforme en pneumothorax sous tension[5], il n’y a toujours pas de preuve claire qu’un pneumothorax ouvert isolé devrait être obturé.
Le pire scénario avec un pneumothorax ouvert est un collapse à 100% du poumon qui se déplacerait ensuite pour comprimer les gros vaisseaux aortiques, le cœur et l’autre poumon. Les médecins urgentistes prennent régulièrement en charge des patients présentant des pneumothorax spontanés avec un collapsus complet à 100 % d’un poumon sans pour autant que la victime présente des anomalies significatives au niveau des signes vitaux ou une détresse respiratoire quelconque au repos.
[5] 10Kheirabdai BS. et al. Do vented chest seals differ in efficacy? An experimental evaluation using a swine hemopneumothorax model. J Trauma and Acute Care Surg; 2017 Jul;83(1):182-189.
PLAIE PÉNÉTRANTE AU NIVEAU DU THORAX : QUE FAIRE ?
POUR RESTER ACADÉMIQUE
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Toute victime présentant une plaie ouverte au niveau du thorax devrait être traitée avec un pansement thoracique ventilé.[7]
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Si un pansement thoracique ventilé n’est pas disponible, n’improvisez pas.[8]
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Si la victime respire spontanément, laissez la blessure thoracique ouverte pour éviter un pneumothorax sous tension.[9]
Si la victime respire spontanément, mais manifeste des signes de détresse respiratoire, appliquez un pansement occlusif ET surveillez les signes de pneumothorax sous tension. Pratiquer une décompression manuelle du thorax avec relâchement/repositionnement du pansement thoracique si nécessaire.
[7]Littlejohn, LF. (2017) “Treatment of Thoracic Trauma: Lessons From the Battlefield Adapted to All Austere Environments”. Wilderness & Environmental Medicine. 28, S69–S73
[8] “In a penetrating chest wound is a three-sided dressing or a one-way chest seal better at preventing respiratory complications?” Emergency Medicine Journal 2012;29:342-343.
[9] Zideman DA, De Buck EMJ, Singletary EM, Cassan P, Chalkias AF, Evans TR, Hafner CM, Handley AJ, Meyran D, Schunder-Tatzber S, Vandekerckhove PG. (2015) “European Resuscitation Council Guidelines for Resuscitation 2015 Section 9. First aid”. Resuscitation. 95. p28
« Il n’y a toujours pas de preuve claire qu’un pneumothorax ouvert isolé devrait être obturé. »
Et l’improvisation alors ?
En 2008, le comité TCCC a supprimé la recommandation de placer des pansements thoraciques improvisés à trois côtés sur les blessés. Après une analyse des études qui abordent le sujet, le comité a indiqué que rien ne prouvait que le pansement empêchait la conversion d’un pneumothorax ouvert en un pneumothorax sous tension. En 2013, après un nouvel examen, les membres du comité n’ont à nouveau trouvé aucune preuve que le pansement improvisé était «efficace pour inverser la difficulté respiratoire causée par un pneumothorax ouvert ou pour prévenir la conversion d’un pneumothorax ouvert en un pneumothorax sous tension»[6]. Le pansement occlusif à trois côtés est un mythe et est inutile.
[6] Butler F.,et al. Management of open pneumothorax in Tactical Combat Casualty Care: TCCC Guidelines Change 13-02
En résumé
Si vous choisissez d’obturer les plaies thoraciques, utilisez un pansement thoracique ventilé. Si vous voulez travailler en fonction des preuves scientifiques probantes et réduire le matériel médical que vous transportez, gardez à l’esprit qu’il n’y a pas de preuve irréfutable que les blessures thoraciques pénétrantes impliquant un seul côté d’un blessé qui respire adéquatement doivent être obturées.
Si vous utilisez un pansement thoracique ventilé, nous vous recommandons le Russell Chest Seal (RCS) de Prometheus. En effet, celui conçu par la firme anglaise remporte haut la main les tests indépendants réalisés sur la réelle efficacité des pansements thoraciques ventilés.
PLAIE PÉNÉTRANTE AU NIVEAU DU THORAX : QUE FAIRE ?
POUR TRAVAILLER EN SE BASANT SUR DES PREUVES CLINIQUES
À l’image de certains protocoles de premiers soins tactiques adoptés par certaines armées (Scandinaves notamment) et ce que je pratique lors de l’instruction des Rangers au TWFA :
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Si la victime respire spontanément, couvrez simplement la plaie avec une compresse stérile ou un pansement type OLAES pour limiter l’entrée parasitaire.
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Si la victime manifeste des signes de détresse respiratoire, appliquez un pansement thoracique ventilé ET surveillez les signes de pneumothorax sous tension.